#9 juin 25
Galas de fin d’année : créations à part entière
Hélène Paquet
Le gala de La Petite Ecole de Danse © Jean-Charles Gesquière
Alors qu’il s’agit de la première expérience sur scène pour la majorité des danseurs, les spectacles de fin d’année sont souvent perçus comme artistiquement peu intéressants. Entre partis pris des professeurs et ouverture à des publics éloignés des scènes de danse, il se joue dans cette forme particulière de création plus de choses qu’il n’y paraît.
À l’exception de ceux d’institutions prestigieuses comme l’École de l’Opéra de Paris ou les Conservatoires Nationaux de Paris et Lyon, les spectacles de fin d’année ont mauvaise presse. Souvent vus comme artistiquement et techniquement pauvres, ils servent parfois même de repoussoir auquel comparer une œuvre jugée décevante : « On se serait cru dans un gala d’école » peut-on parfois entendre à la sortie des spectacles ou lire sur les réseaux sociaux.
Pourtant, nombreux sont les professionnels à considérer cette première expérience de la scène comme le début de leur vocation. Et nombreux sont les professeurs qui mettent un point d’honneur à proposer un travail de chorégraphie et de mise en scène recherché à leurs élèves. « Je me rêvais dans les cours de “grandes”, avec leurs tutus ou leurs leggings rose fluo » se souvient en souriant Émilie Juppin qui, après une carrière de danseuse jazz, dirige aujourd’hui La Petite École de danse à Montreuil. Ses premières expériences de la scène ont été ces spectacles de fin d’année, où elle a commencé à « rêver la danse ».
Aujourd’hui, elle considère que ces spectacles font partie intégrante de la formation de ses élèves. D’abord parce qu’ils développent le sens de l’interprétation et la culture chorégraphique des danseurs, mais aussi parce que cela pousse les élèves à progresser techniquement. « Se frotter à une chorégraphie qui va être présentée devant un public, ça demande de l’engagement. Bien sûr, on ne va pas mettre les élèves dans l’inconfort, mais ça peut être aussi une motivation supplémentaire à réussir à maîtriser son corps, sa technique, son stress… » Et cela sans oublier le plaisir de danser : « Donner vie à un spectacle, forcément ça met des paillettes dans les yeux des parents, des familles et des principaux concernés, les danseurs. »
Le gala de La Petite Ecole de Danse © Jean-Charles Gesquière
Mais le spectacle de fin d’année ne forme pas uniquement de futurs interprètes. Lorsque Marco da Silva Ferreira a été recruté comme professeur par l’école où il pratiquait la danse, il a dû s’improviser chorégraphe. « Il y avait des présentations à Noël, et surtout à la fin de l’année, dans un grand auditorium de 2 000 places », se souvient le chorégraphe désormais reconnu à l’international. « J’ai eu l’impression qu’il y avait beaucoup d’attentes, pas uniquement des professeurs – on était beaucoup à travailler pour que ça soit vraiment bien –, mais aussi des parents et des enfants qui passaient leurs week-ends en répétition. »
C’est donc dans ce contexte qu’il fera ses premières armes de chorégraphe, le début d’un parcours qui l’amènera à être artiste associé du Théâtre National de Porto, puis du CCN de Caen en Normandie. « J’ai appris des choses entièrement nouvelles : chorégraphier, raconter une histoire à travers la danse, créer une ambiance… À chaque nouvel essai, je comprenais un peu mieux comment organiser le timing, l’espace, quelles étapes étaient nécessaires pour arriver au but. »
Ce cadre, destiné uniquement aux enfants et aux parents, lui a permis d’expérimenter avec beaucoup de liberté, de fusionner les styles et de trouver son propre langage… Mais aussi d’apprendre tout l’aspect logistique de la conception d’un spectacle, un savoir-faire très utile quand il s’est professionnalisé. « Je savais que, pour créer une pièce de tant de minutes, j’avais besoin de tant de semaines de répétition, et que chaque aspect de la création avait un timing différent, de la recherche des costumes en amont, à l’éclairage et la technique à la toute fin. »
Quant à l’aspect artistique des galas, il est loin d’être négligé, bien au contraire : « Des écoles sont capables de proposer un spectacle de grande qualité, même avec des élèves amateurs » insiste Émilie Juppin. « On va voir de quoi ils sont capables, et finalement c’est aussi eux qui vont nous emmener, et on va collaborer vers une création. Toute la palette des émotions qu’on peut faire passer aux spectateurs est disponible. Pas seulement le rire et la joie, ça peut être touchant aussi. »
Le gala de La Petite Ecole de Danse © Jean-Charles Gesquière
Et côté public ? « Le plus beau retour que j’ai, c’est quand des spectateurs qui viennent un peu contraints et forcés par un membre de leur famille sortent en disant qu’ils ont vécu une vraie soirée de spectacle » s’amuse Émilie Juppin. Or, Pierre-Emmanuel Sorignet, sociologue spécialiste de la danse, remarque que, pour certains spectateurs, il peut s’agir d’une première fois au théâtre : « Dans les conservatoires de l’Est parisien, ou de Seine Saint-Denis, par exemple, les spectacles de fin d’année sont l’occasion pour des familles issues de milieux populaires, qui n’est pas le public de la danse en règle générale, d’aller au théâtre car ils viennent y voir leurs enfants. Ce maillage des conservatoires municipaux est un des effets de la démocratisation culturelle. »
Néanmoins, cela ne veut pas dire qu’ils deviendront des habitués du genre : « Je ne crois pas que ça permette de développer une familiarité suffisante, une socialisation de spectateur. » Le sociologue souligne en outre une déconnexion entre ce qui se danse dans les conservatoires locaux, « où il y a une mise en scène d’un savoir-faire technique » plus facilement lisible pour un nouveau public, et la programmation des théâtres publics, plus élitistes, « qui proposent une esthétique qui s’adresse plutôt aux classes moyennes et supérieures, à un public auto-référencé et déjà connaisseur de danse contemporaine », regrette-t-il. Mais lorsque les efforts sont faits pour créer des ponts entre ces deux espaces, comme à Tremblay-en-France, le chercheur constate que « tous les jeunes savent où est le théâtre dans la ville. »
Hélène Paquet est journaliste indépendante. Elle travaille principalement sur les questions de genre et d’égalité, sur les cultures en ligne et sur la danse, qui la passionne et qu’elle pratique depuis l’enfance. En parallèle, elle est doctorante en sociologie à l’École des hautes études en sciences sociales où elle étudie le traitement médiatique des questions LGBT+ depuis la fin des années 1990.
La Petite École de danse à Montreuil
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