CN D Magazine

#9 juin 25

Loïe Fuller, danses non-humaines en milieu naturel

Par Ola Maciejewska


Si l’on connaît la pionnière de la danse moderne Loïe Fuller pour son utilisation de l’éclairage électrique sur scène, elle a aussi créé, de façon plus confidentielle, des pièces pour les espaces extérieurs. CN D Magazine diffuse un extrait de la Féérie des ballets fantastiques de Loïe Fuller, série de danses filmées en plein air, et donne la parole à la chorégraphe Ola Maciejewska qui se consacre à l’étude de sa consœur américaine en la questionnant.

Loïe Fuller (1862-1926) développe des dispositifs hautement techniques dans ses spectacles. C’est une pionnière de l’utilisation de l’éclairage électrique sur scène et son œuvre est irriguée par son intérêt pour les découvertes scientifiques. Elle avait un laboratoire où elle testait ses effets lumineux. Elle a rencontré Marie Skłodowska-Curie, s’est inspirée de sa découverte du radium mais aussi de l’observation des cellules au microscope. Mais si on la connaît surtout pour son travail dans la boîte noire, elle a aussi chorégraphié pour l’extérieur, comme en témoignent ces films de danse conçus avec sa partenaire et collaboratrice Gab Sorère. Cette alternance donne à réfléchir sur les allers-retours entre les pratiques de la danse confinées en intérieur et les tentatives de libération vers l’extérieur. 

Son travail matérialise les tensions entre l’artificiel et le naturel qui sont à l’œuvre au début du siècle. Les images peuvent évoquer une vision romantique voire fantastique de la Nature, peuplée d’elfes et de fées. C’est notamment le cas dans la première séquence, filmée dans un contexte naturel préservé. La suivante se déroule dans un paysage plus artificiel, à l’impact humain évident, perceptible par exemple dans les allées droites traversant les bois. Les danseuses évoluent selon une chorégraphie induite par le paysage.

Les spectateurs de l’époque ont d’ailleurs comparé sa danse à des fleurs, des papillons, le poète Stéphane Mallarmé, son contemporaine, l’a qualifiée de « flamme ». Il y a dans la danse serpentine une liberté qui lui permet d’invoquer ces présences non-humaines. En pratiquant cette danse, je me suis rendue compte qu’elle était éminemment basée sur l’action, tout simplement pour faire bouger le costume. Cela rappelle le geste performatif des « tasks » de la postmodern dance des années 1960.

Loïe Fuller est une figure incontournable de la danse à différents niveaux ; c’est une référence du monde du cabaret, et elle est emblématique pour la communauté queer comme pour la première vague féministe. Comment, aujourd’hui, cette danse peut-elle être un médium pour réfléchir à notre relation avec ce qu’on appelle communément la Nature ? Quelle conception de la Nature ces danses proposent-elles ? Ma démarche n’est pas un hommage, mais une recherche sur la manière dont l’activation d’une référence historique peut constituer une méthode d’élaboration de son propre regard sur l’histoire de la danse.

Propos recueillis par Belinda Mathieu

Journaliste et critique spécialisée en danse, Belinda Mathieu travaille pour plusieurs titres (TéléramaMouvementTrois CouleursSceneweb, La Terrasse). Diplômée de Lettres Modernes (Université Paris-Sorbonne), de journalisme (ISCPA) et titulaire d’une Licence du département danse de l’Université Paris 8, elle poursuit ce cursus en Master et alimente une réflexion sur sa pratique et les enjeux des textes critiques dans l’écosystème de la danse contemporaine. Elle assure la direction éditoriale du CN D Magazine.

Valse Godard & Le Lys, extraits issus de La Féérie des ballets fantastiques de Loïe Fuller (Danse serpentine)
1934
29 minutes
Chorégraphie : Loïe Fuller
Réalisation : George R. Busby
Direction artistique : Gab Sorère
Interprétation : la Compagnie des danseuses de Loïe Fuller
Production : André Morron

Chorégraphies. Dessiner, danser (XVIIe - XXIe siècles)
Commissaires : Pauline Chevalier et Amandine Royer
du 19 avril au 25 septembre
au Musée des Beaux-Arts de Besançon

The second body
Chorégraphie : Ola Maciejewska
Du 1 au 3 août à Impulstanz festival, Vienne
Les 17 et 18 août au Holland Festival, Amsterdam

LOÏE FULLER : RESEARCH 
Chorégraphie : Ola Maciejewska
Le 17 août
au Festival Lieux Mouvants à Lanrivan