CN D Magazine

#10 octobre 25

Martha Graham
Dance Company :
100 ans et pas une ride 

Lauren Wingenroth

Martha Graham Dance Company, CAVE (Hofesh Shechter), © Brian Pollock


En 2026, la Martha Graham Dance Company fêtera ses cent ans. Malgré son grand âge, la compagnie new-yorkaise, connue pour son répertoire contemporain, ses innovations techniques, mais aussi les œuvres de la pionnière de la danse moderne qui l’a créée, semble résister au passage du temps.

Presque centenaire, la compagnie de Martha Graham est la plus vieille compagnie de danse des États-Unis et l’une des plus vieilles compagnies de danse moderne au monde. Pourtant, « elle n’a pas pris une ride », assure Virginie Mécène, qui a dansé de nombreuses années pour la compagnie avant de devenir directrice de son junior ballet, Graham 2.

Si les pièces emblématiques de Martha Graham, explorant la complexité de la psychologie humaine, ont toujours leur place dans le paysage chorégraphique actuel, ces dix dernières années, la compagnie s’est ouverte aux enjeux contemporains. Des initiatives – plus ou moins réussies – ont fait souffler un vent de nouveauté dans cette maison longtemps dédiée à la promotion des œuvres et de la technique de sa fondatrice, décédée en 1991.

La compagnie met au défi quiconque l’accuserait de faire du sur place : chaque représentation est un tour de force de versatilité, présentant autant les chefs-d’œuvre de Martha Graham, des créations ou des expérimentations technologiques revisitant l’héritage de la pionnière. En témoigne le gala annuel de la compagnie en avril 2025, où un « MarthaBot » généré par IA, formé à la technique de Graham et programmé à partir de ses écrits interagissait avec les participants.

C’est Janet Eilber, sa directrice visionnaire, qui a impulsé ces innovations, conduisant ces vingt dernières années la compagnie vers une nouvelle ère. En 2005, elle reprenait la tête de cette structure dans un contexte très compliqué : la compagnie sortait de deux ans de suspension totale de ses activités dus à des problèmes financiers et était paralysée par un procès en cours.

Ces dix dernières années, Janet Eilber a fait appel au gratin des chorégraphes internationaux pour créer des dizaines de nouvelles pièces – parmi eux Hofesh Shechter, Bobbi Jene Smith et Pontus Lidberg. Si ces œuvres ont reçu un accueil mitigé, suscitant des interrogations quant à la manière dont elles s’inscrivent dans le répertoire, Janet Eilber, quant à elle, affirme sa volonté de continuer de faire écho au répertoire historique de la compagnie.

L’un des exemples les plus probants de son entreprise est We the People, de Jamar Roberts, ancienne star du Alvin Ailey American Dance Theater, qui qualifie ce succès critique d’« œuvre mêlant avec habileté contestation et complainte ». Dansé sur la musique folk de Rhiannon Giddens, ce ballet est souvent présenté dans la même soirée (comme à Roubaix, Lyon et Paris en 2025) avec une autre œuvre contestataire, Chronicle, manifeste pacifiste de Martha Graham créé en 1936, l’année où elle refusa de participer aux Jeux Olympiques de Berlin organisé par le gouvernement nazi. 

Le lien entre ces nouvelles œuvres et le répertoire Graham est parfois encore plus évident. C’est le cas de Lamentation Variations, une série chorégraphique initiée en 2007 où divers chorégraphes ont créé leur propre solo inspiré de Lamentation, pièce culte créée en 1930 par Graham. Aszure Barton, Doug Varone, et Richard Move ont notamment relevé le défi.

Martha Graham Dance Company, Cave of the Heart © Melissa Sherwood

L’ouverture de la compagnie à des œuvres contemporaines et à des styles différents – parfois plus présents que les œuvres originales de Graham au cours d’une saison – a fait évoluer l’exigence et la technique de la compagnie, redéfinissant au passage l’identité des danseurs Graham. À une époque, ces derniers étaient avant tout spécialistes de la technique exigeante et très spécifique de Martha Graham. On attend maintenant d’eux qu’ils soient des caméléons, au même titre que dans n’importe quelle autre compagnie de répertoire, tout en conservant leur maîtrise unique au monde du style Graham. 

Malgré l’ancienneté de la compagnie, beaucoup de ses membres actuels sont jeunes, comme Ane Arrieta, qui a rejoint la compagnie en 2023. « Nous devons nous assurer de maîtriser le style Graham, plus que n’importe quelle autre compagnie au monde, mais aussi nous adapter au niveau requis pour danser les œuvres de ces grands chorégraphes contemporains qui créent pour nous », explique-t-elle. « Le style Graham est difficile à maîtriser, c’est un univers unique, sur le plan psychologique et physique. »

Pour Jamal Roberts, l'intensité singulière des danseurs Graham affecte tout ce qu’ils entreprennent. « Ils abordent tout avec beaucoup de sérieux, et ont un profond amour pour la danse », affirme-t-il. « On pourrait le dire à propos de beaucoup de danseurs, mais il y a quelque chose de propre aux danseurs Graham – on dirait qu’ils dansent comme si leur vie en dépendait, et c’est rare. »

Pour célébrer le centenaire de la compagnie, le programme de la saison s’accompagne de la sortie d’un documentaire, de la publication d’un livre d’art et d’une série d’expositions et d’événements à New York. Autre signe de bonne santé et de longévité, la compagnie s’apprête à déménager dans de nouveaux locaux : elle quitte les petits studios du West Village, où elle est basée depuis 2012, après le départ de la compagnie Merce Cunningham, pour des studios bien plus spacieux dans Midtown. Dans ce nouvel espace, Janet Eilber espère développer l’École Graham et accueillir de nouvelles expériences chorégraphiques pour la compagnie, comme pour de nouveaux chorégraphes. 

« On dirait qu’ils dansent comme si leur vie en dépendait, et c’est vraiment rare » 
Jamar Roberts

Ces studios flambant neufs, ces expériences technologiques et ce répertoire contemporain éclectique remettent-ils en question les racines de la compagnie ? Cette dernière soutient, au contraire, que ces changements sont dans lignée de l’esprit d’innovation de Graham : un argument qui sonnera juste pour quiconque connaît la personnalité de la chorégraphe légendaire. 

« Martha ne tenait pas en place », affirme Leslie Andrea Williams, danseuse dans la compagnie. « Si elle était là, elle dirait sûrement : “Cette pièce que j’ai créée ne va pas, on va changer des trucs.” Elle ne resterait pas campée sur des positions rigides. Elle voulait en permanence élargir ses horizons et évoluer. »

Ane Arrieta abonde dans ce sens : « J’ai entendu tellement d’anecdotes sur Martha qui créait des ballets, puis refusait de les reprendre pour continuer à en produire de nouveaux. Elle ne regardait pas en arrière. Elle voulait sans cesse aller de l’avant. » 

Lauren Wingenroth est journaliste notamment spécialisée en danse, théâtre et fitness basée en Caroline du Nord. Ancienne éditrice de Dance Magazine, elle a écrit pour The New York Times, American Theatre, Playbill, ESPN, Outside Magazine, Well + Good et de nombreuses autres publications.

100 YEARS OF THE MARTHA GRAHAM DANCE COMPANY
Chorégraphie : Marta Graham 
les 24 et 25 octobre 
à Le Colisée, Roubaix 

100 YEARS OF THE MARTHA GRAHAM DANCE COMPANY
Chorégraphie : Marta Graham 
du 29 octobre au 2 novembre
à La Bourse du Travail, Lyon 

100 YEARS OF THE MARTHA GRAHAM DANCE COMPANY
Chorégraphie : Marta Graham 
du 5 au 14 novembre 
au Théâtre du Châtelet, Paris