#10 octobre 25
Trois ans, trois regards pour
CN D Magazine
Laura Cappelle, Léa Poiré,
Belinda Mathieu
MOCKUP MANIFESTE
En 2022, CN D Magazine voit le jour avec l’ambition de créer un espace de réflexion pour la danse accessible au grand public. Comment le magazine a-t-il évolué depuis ses débuts ? Quelles sont les perspectives ? Laura Cappelle, Léa Poiré et Belinda Mathieu, directrices éditoriales successives, reviennent sur leurs expériences et leurs aspirations pour le titre.
Les débuts avec Laura Cappelle
Éclectisme, ressources, exigence : voici les premières notes prises sur ce qui allait devenir CN D Magazine, au printemps 2022. Trois ans et dix numéros plus tard, ces mots continuent de guider ce média dédié à la danse et aux artistes. Né du désir manifesté par Catherine Tsekenis, directrice du Centre national de la danse, de faire vivre un nouveau projet éditorial dans un paysage de plus en plus sombre pour le journalisme en danse, le premier numéro a vu le jour en quelques mois à peine.
Construit avec l’aide précieuse de Christophe Susset, secrétaire général de la maison, et de Lise Kiner-Wolff à la communication digitale, il témoignait déjà de la volonté de voyager entre les formats – écrit, audio, vidéo – et les esthétiques sans hiérarchie, de clins d’œil historiques à Rudolf Noureev et Andy De Groat au travail percutant de Gisèle Vienne ou d’Eisa Jocson. Très vite, CN D Magazine s’est aussi emparé de sujets sociaux qui questionnaient le milieu chorégraphique, comme le yellowface et le handicap ; en partenariat avec les différents pôles du CN D, des articles ont mobilisé des sources inédites, allant de vidéos et documents d’archive à des enquêtes appuyées sur les ressources construites en interne pour les professionnels.
En tant que première directrice éditoriale, j’ai voulu proposer la même pluralité au niveau des contributrices et contributeurs. Ils et elles représentent toutes les générations de journalistes danse en France, auxquelles sont venus se joindre régulièrement des universitaires ainsi que des autrices et auteurs étrangers, parfois traduits pour la première fois en français. Quant au « double » anglophone de CN D Magazine, il est le résultat de tout un processus de traduction culturelle, avec ses titres à l’anglo-saxonne et des versions en anglais de chaque article ajusté pour un lectorat qui n’a que rarement accès à la presse française.
Léa Poiré et Belinda Mathieu ont repris le flambeau en mettant toujours plus l’accent sur l’ouverture et la diversité de ces pages. Derrière les animations bleutées de chaque sommaire, elles parlent de toutes les danses – et s’adressent à toutes celles et ceux qui les font et les aiment.
Approfondir l'identité, Léa Poiré
Été 2023. Redevenue journaliste indépendante après huit années passées au sein de la rédaction de Mouvement, je suis remplie de doutes sur la viabilité et la pérennité de mon activité. Hasard du calendrier, c’est exactement à ce moment-là que la proposition de prendre la suite de Laura Cappelle à la direction éditoriale de CN D Magazine me parvient. Le parallèle avec ma situation me frappe. Le titre, à son échelle, répond à un besoin criant : soutenir économiquement les professionnelles et professionnels des médias culturels et de la recherche chorégraphique, pour assurer une continuité des expertises, des savoirs et de la pensée en danse.
Je me lance alors dans l’aventure en poursuivant une ligne éditoriale tournée vers le grand public, à la jonction de plusieurs approches : sociétale – éclairant par exemple les violences systémiques –, historique – documentant l’arrivée du contact-improvisation en France –, explicative – avec des reportages et décryptages –, professionnelle – sondant l’état des compagnies indépendantes – et esthétique, telle cette plongée dans Café Müller. Autant de croisements qui définissent la danse, non seulement comme un art, mais aussi comme une pratique populaire, culturelle, économique et politique.
Numéro après numéro, six au total – dont deux réalisés en tuilage avec Laura pour le premier, Belinda pour le dernier – mon apport s’est joué dans l’approfondissement de cette identité et le renforcement des processus internes déjà mis en place.
Ce qui se répète en coulisses m’a beaucoup touchée. Chaque numéro est fabriqué en trois mois, grâce au concours d’une vingtaine de personnes dont les compétences et responsabilités s’imbriquent : conseillère, journalistes, artistes, chercheurs et chercheuses, documentalistes, photographes et vidéastes, traductrice, éditrice en anglais, correctrice-relectrice, producteur, l’équipe de communication du CN D et sa direction. Un ballet bien orchestré qui débute par une grande réunion de sélection des articles et se termine par des coups de fils express et les derniers minuscules réglages avant la sortie.
Aujourd’hui coordinatrice de l’atelier 210 à Bruxelles, CN D Magazine aura ainsi prolongé mon parcours dans la presse de deux ans, au cours desquels je me suis investie dans un média institutionnel où l’exigence journalistique est chérie et revendiquée.
Continuer d'ouvrir, Belinda Mathieu
En mars 2025, je reprends la direction éditoriale de CN D Magazine à la suite de Léa Poiré, heureuse de poursuivre un projet collectif consacré à la danse, qui offre une belle place à la réflexion. Ce titre bilingue me semble avoir une double adresse : intéresser les professionnels et connaisseurs, tout en restant accessible au grand public. Journaliste indépendante spécialisée dans la danse pour plusieurs titres, je perçois ce magazine comme un espace résistant à une tendance de la presse culturelle : il offre un écho aux enjeux du secteur et ne se contente pas d’être un miroir de l’actualité des spectacles.
Grâce au travail de mes prédécesseuses, CN D Magazine a réussi à s’imposer dans le milieu de la danse, tout du moins en France. J’espère consolider cette place en poursuivant le mouvement qu’elles ont impulsé, celui d’ouvrir le magazine à d’autres territoires, en touchant le grand public et en enracinant sa place à l’international. En témoignent les deux numéros auxquels j’ai participé, dont un co-dirigé avec Léa Poiré, où cohabitent décryptage du Kunstenfestivaldesarts bruxellois et reportage à la rencontre de jeunes danseurs brésiliens dans la Favela de Maré à Rio.
Pour l’avenir, je souhaite continuer de développer le magazine, à travers de nouveaux formats, créatifs et littéraires, en donnant par exemple une carte blanche artistique par numéro. J’espère créer des synergies francophones, européennes et internationales avec d’autres titres spécialisés en danse. J’aimerais étendre les modes de diffusion du magazine sur les plateformes de streaming audio, vidéo et sur les réseaux sociaux, afin de toucher d’autres lecteurs et lectrices.
L’existence d’un journal, et particulièrement de danse, est fragile. Pour répondre à ce contexte, il me semble primordial de maintenir une ligne journalistique rigoureuse, de trouver des solidarités internationales et de prendre notre place au sein des outils numériques de diffusion de l’information.
Laura Cappelle est une journaliste et chercheuse basée à Paris. Professeure associée à l’Université Sorbonne Nouvelle, elle a dirigé l’ouvrage collectif Nouvelle Histoire de la danse en Occident (Seuil, 2020) et est l’autrice de Créer des ballets au XXIe siècle (CNRS Éditions). Critique de danse du Financial Times à Paris depuis 2010, elle tient également une rubrique sur le théâtre français dans le New York Times et est conseillère éditoriale de CN D Magazine.
Après des études chorégraphiques, ayant été responsable danse et rédactrice en chef adjointe pour le magazine Mouvement, Léa Poiré s’inscrit dans le champ du journalisme culturel, de l’éducation aux médias, et collabore en tant que chercheuse avec la chorégraphe Mette Edvardsen. Elle assure aujourd’hui la coordination générale à l’atelier 210 à Bruxelles et poursuit en parallèle son activité de journaliste indépendante.
Journaliste et critique spécialisée en danse, Belinda Mathieu travaille pour plusieurs titres (Télérama, Trois Couleurs, Sceneweb, La Terrasse). Elle est diplômée de Lettres Modernes (Université Paris-Sorbonne), de journalisme (ISCPA) et d’un Master au département danse de l’Université Paris VII. Elle assure la direction éditoriale de CN D Magazine.