#3 juin 23
Cirque contemporain :
entre grandes envies et
manque de moyens
Hélène Paquet
En apparence, le cirque en France se porte au mieux : le festival UtoPistes en est à sa sixième édition, les Nuits de Fourvière proposent encore une fois en 2023 une riche programmation circassienne, et la métropole de Lyon a même annoncé en 2021 un ambitieux projet de construction d’une Cité Internationale des Arts du Cirque de 10 000 m² à Vénissieux. Mais entre les suites du covid et les difficultés économiques rencontrées par les différents acteurs, les artistes oscillent entre envie de grands projets et inquiétude.
« J’ai envie d’ouvrir le cirque à des domaines qui étaient restés un peu fermés. J’aimerais apporter un opéra sous chapiteau, dans des milieux ruraux ou de banlieue, à des personnes qui n’en ont pas forcément les moyens ou qui n’en auraient pas eu l’idée au premier abord », rêve Matiss Nourly, élève de la 34e promotion du Centre national des arts du cirque (CNAC) de Châlons-en-Champagne. Cette année, ils présenteront Balestra, leur spectacle de fin d’études, au festival UtoPistes et aux Nuits de Fourvière – et Matiss Nourly voit volontiers l’avenir en grand. « Ces dernières années, on a eu beaucoup de créations qui étaient des solos, des duos ou des spectacles de petite envergure, en partie à cause des moyens. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, on a cette envie de repartir sur du collectif, des productions à gros budget avec des gros chapiteaux. »
Mais si l’envie est là, et partagée par beaucoup d’artistes dans le monde du cirque, les moyens ne suivent pas toujours. Dans un contexte où le cirque dit « contemporain » se distancie depuis plusieurs décennies de l’idée de « numéro » et cherche davantage à présenter un spectacle avec une trame et une vision artistique, le cirque est de plus en plus intégré aux politiques culturelles. « J’ai l’impression que cela fait bien trente ans qu’il y a des gros projets de cirque contemporain en France, qui tournent à l’international », souligne Jonas Julliand, acrobate au sein du Galactik Ensemble. Ce dernier a récemment proposé une carte blanche intitulée Presque Fresque au Théâtre des Célestins, dans le cadre d’UtoPistes.
« C’est important qu’il y ait des projets d’envergure, pour établir une forme de culture du cirque. Mais je ne suis pas sûr que ça soit l’avenir, continue son collègue Mathieu Bleton, membre du même collectif. Je parierais plutôt sur une forme de fracture entre quelques grands projets, des têtes d’affiche et des compagnies très bien installées et soutenues, une petite économie qui va s’en sortir avec des petites formes et des décors plutôt légers, et des prix de cession à moins de 4 000 euros, et une économie moyenne qui va avoir du mal. » Pour le Galaktik Ensemble, qui se situe selon lui « dans le haut des projets moyens », les choses se compliquent ainsi aujourd’hui – et rémunérer les artistes à hauteur de leur expérience n’a rien d’évident. « Dès qu’on refuse la précarité, ça devient compliqué », résume Mathieu Bleton.
« De plus en plus, le cirque est rentré dans les lieux et les réseaux pluridisciplinaires », souligne Laurent Ballay, directeur délégué de la compagnie Baro d’Evel, qui présentera son spectacle Là aux Nuits de Fourvière et à UtoPistes. « On n’est pas épargnés par les soucis actuels des lieux, qui se répercutent directement sur les équipes artistiques. » Si ces problèmes, notamment la hausse des prix de l’énergie, concernent également la danse ou le théâtre, ils conduisent à un raccourcissement de la durée de vie des productions particulièrement gênant pour le cirque, dont l’économie repose sur de longues tournées. « La tradition dans le cirque, c’est plutôt de tourner beaucoup et de se servir de ce qu’on gagne pendant nos tournées pour financer en partie nos créations », continue Laurent Ballay. « Même les “superproductions” font une saison, une saison et demie, et après ça s’arrête. C’est aussi des économies qui sont, je trouve, fragiles », note Mathieu Bleton.
Quant au projet de Cité Internationale des Arts du Cirque à Vénissieux, qui a pour but de proposer des infrastructures et de soutenir la création, la formation et la recherche, une seconde étude sur sa faisabilité vient tout juste de sortir, et le lieu ne devrait pas voir le jour avant 2025. Toutefois, après le retrait des subventions de la région au Théâtre Nouvelle Génération à Lyon dont le directeur avait critiqué Laurent Wauquiez, certains circassiens soulignent que le projet pourrait souffrir de la situation compliquée de la culture en région Auvergne-Rhône-Alpes.
Mais si les difficultés rencontrées par le cirque ont un impact sur les spectacles, ce n’est pas uniquement dans les moyens qui leur sont alloués. Pour Camille Decourtye, l’une des artistes de Baro D’Evel, c’est aussi une source de réflexion. « Toutes les œuvres, la manière de penser les projets, partent forcément d’un contexte sociétal. Elles viennent de questions sur le monde qui se casse la gueule. Mais ça ne part pas de l’économique – ça part d’une pensée générale. »
Hélène Paquet est journaliste indépendante. Elle travaille principalement sur les questions de genre et d’égalité, sur les cultures en ligne et sur la danse, qui la passionne et qu’elle pratique depuis l’enfance. En parallèle, elle est doctorante en sociologie à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales où elle étudie le traitement médiatique des questions LGBTI depuis la fin des années 1990.
Là
BARO D’EVEL
du 13.06 au 17.06
Les Nuits de Fourvière
nuitsdefourvière.comInfos
Festival UtoPistes
festival-utopistes.frLes Nuits de Fourvière
nuitsdefourvière.comCentre national des arts du cirque (CNAC)
cnac.fr