#3 juin 23
Corps extrêmes : le regard
du photographe
Christophe Berlet
Dans le train pour Bourges.
Je pense à la photographie. Je suis concentré.
Je pense au sens de la photographie, celui que je lui donne, à sa valeur symbolique et aussi à son aspect très concret, physique et pragmatique.
Au plaisir que je dois toujours renouveler, retrouver.
C’est un exercice particulier de documenter une répétition et une générale.
J’ai l’habitude qu’un temps et un espace soit dédiés exclusivement à la session photo.
Cette fois-ci, ce sera différent : il ne s’agit pas de moi.
Avant un shooting, je me pose toujours les mêmes questions :
Est-ce que je serai bien accueilli ? Vont-ils être à l’aise face à l’appareil photo ?
Vais-je trouver ma place ? Est-ce que je ne vais pas avoir un accès de timidité ? Est-ce que le lieu sera photogénique ? Y aura-t-il assez de lumière du jour ?
Je passe en revue toutes les problématiques possibles pour ne plus avoir à y penser.
Tout doit être intuitif, automatique et simple. Comme un sportif qui à force de répétitions s’en remet au savoir du corps et choisit sa stratégie en fonction de la situation.
On se rencontre à la Maison de la culture de Bourges. Toutes et tous sont très accueillants.
Il se dégage du groupe une énergie qui me rappelle celle de l’enfance, du jeu.
La troupe se retrouve après avoir arrêté les représentations pendant un moment, c’est une reprise. Ils sont donc très concentrés pour reprendre leurs marques.
Il y a beaucoup de déplacements dans l’espace, de figures acrobatiques.
On va passer huit heures ensemble, entre les échauffements, le déjeuner, la répétition et la générale. On a le temps de s’observer, de s’écouter et d’échanger.
J’accède brièvement à une vie d’acrobates, de circassiens, de sportifs de haut niveau.
C’est toute une culture, un univers qui s’ouvre à moi.
J’ai de la chance d’être admis sur scène avec eux, dans leurs pattes. J’observe leur musculature, propre à chacun et liée à leur spécialité : acrobates, voltigeurs, grimpeuses. J’observe leur façon de se déplacer dans l’espace.
J’admire leur dextérité et entrevois tout le travail fourni pour en arriver là.
C'est une étrange et belle expérience.
Je m’imagine un instant faire partie de leur monde.
C’est une projection vers un autre moi, un autre rapport au monde.
Et pour ça, entre autres, je les remercie toutes et tous, et leur souhaite une belle route.
« Je crois qu’enfants nous héritons des territoires qu’il nous faudra conquérir tout au long de notre vie. Petite, je voulais vivre parce qu’il y avait les fauves, les chevaux et l’appel de la forêt ; les grandes étendues, les hautes montagnes et la mer déchainée ; les acrobates, les funambules et les conteurs d’histoires. »
Nastassja Martin, extrait de Croire aux fauves (Verticales, 2019)
Christophe Berlet est un photographe autodidacte. Il envisage la photographie comme un moyen d’être tourné vers les autres, un témoignage, une mémoire à la fois personnelle et collective. Elle lui permet de trouver un équilibre entre l’introspection et l’ouverture sur le monde. Il conçoit ses images comme des mots qu’on assemble ou de sonorités avec des volumes et des densités différentes, afin de retranscrire des atmosphères, des interactions, des implications qui se situent au-delà de ce qui se laisse voir, au-delà des apparences.
Sa pratique du sport l’a conduit à marier ses deux passions. C’est pourquoi il évolue notamment dans les milieux de la danse et du sport.
Infos
Christophe Berlet
christopheberlet.com