#6 juin 24
Pop, électro, olympisme : un défilé de haute culture
Zineb Soulaimani
Portfolio
Christophe Berlet
L’été olympique s’annonce sportif, mais aussi artistique. Outre les spectacles des cérémonies d’ouverture et de clôture, une série événements regroupés sous le label « olympiade culturelle » se déploie déjà dans toute la France et s’intensifiera jusqu’aux jeux. En Seine-Saint-Denis, huit lieux de spectacle vivant ont rêvé un projet un peu fou : une parade géante, carnavalesque, composée de treize parties orchestrées par des artistes de toutes disciplines avec plus d’un millier de participants amateurs. Avant le défilé prévu fin juin, CN D Magazine a suivi la fabrication d’un segment mené par le duo Mazelfreten et leur groupe de volontaires. Ensemble, ils portent la flamme de la danse hip-hop et d’une autre, moins connue : l’électro.
Ce soir de début mai, une quarantaine de participants affluent dans le grand studio du CN D. Certains sortent tout juste du travail et passent aux vestiaires, d’autres sont déjà en tenue confortable, prêts à suivre la répétition, la deuxième sur les six organisées par les Mazelfreten. Derrière ce mystérieux nom, il y a deux artistes, interprètes et chorégraphes : Laura Defretin, hip-hopeuse, et Brandon Masele, danseur électro.
Pour l’heure, Miel – surnom de ce dernier – est seul aux commandes de cette séance de travail qui démarre par un temps de présentation. « La danse que je pratique est née sur le sol français » précise-t-il, avant de faire défiler des teasers, vidéoprojecteur et écran à l’appui. « Elle a vu le jour dans des clubs franciliens, d’abord au Métropolis avec les soirées Tecktonik dès 2002 puis au Mix Club à Montparnasse » ajoute cet autodidacte de la discipline. Après un pic de popularité en 2007, le genre connu pour ses jeux de bras circulaires et volubiles est boudé des clubbeurs à la suite d’une récupération commerciale suivie d’un badbuzz médiatique. Il renaîtra alors sous l’appellation « électro » avec une diffusion plus underground, avant de prendre une tournure compétitive en rejoignant les battles.
Miel a fait de la transmission de cette danse, toujours mal connue et peu pratiquée aujourd’hui, un enjeu important au sein de la compagnie Mazelfreten. « Cette année, on a assuré plus de 1 000 heures d’ateliers avec les publics » affirme-t-il. C’est donc tout naturellement que le duo, fondé en 2018, a accepté de relever le défi qui fait l’objet de la répétition du jour : chorégraphier, avec un groupe d’amateurs amoureux de la danse et curieux des danses urbaines, l’une des treize parties d’une gigantesque parade intitulée On ne va pas se défiler !.
Il est 19h50 et il est temps de passer à la pratique. Sous forme de « speed dance dating », des duos se font et se défont pour travailler des parties du corps. D’abord des mouvements de tête uniquement, puis les bras, le bassin et finalement les jambes. Miel rassure les participants : « Peu importe votre niveau, ce sont les contraintes que l’on va se donner qui vont permettre la créativité. » Le groupe intergénérationnel – de 19 à 64 ans – reste soucieux après avoir visionné les vidéos ; notamment celle de Rave Lucid, la première pièce de groupe signée Mazelfreten, dont la parade en préparation emprunte la grammaire : un vocabulaire affuté, fait d’hybridation des danses des deux créateurs.
Lors du tour des présentations, beaucoup de participants ont toutefois exprimé avoir une pratique amateur – classique, contemporain, modern jazz. Clément, lui, n’est pas un habitué des cours de danse. « Je danse quand c’est la fête et je danse en concert. J’adore ça ! » lance-t-il en riant. À 37 ans, salarié d’un lieu de spectacles à Pantin, il s’est motivé à rejoindre la parade : « C’est la première fois que je me lance dans un projet participatif comme celui-ci. D’habitude, c’est mon travail d’en organiser mais jamais de participer. »
À la question de savoir comment transmettre cette danse en si peu de temps, de surcroît avec un groupe hétéroclite, Miel répond, confiant : « Au-delà de l’aspect technique, il y a une énergie qui se dégage des individualités qui est plus puissante que le savoir-faire. La manière qu’ont les corps de bouger différemment va permettre de raconter une histoire, et pour nous, c’est ce qui est important. »
Parmi les singularités présentes ce soir-là, Florence, enseignante en informatique, est ce que l’on peut appeler une habituée des projets participatifs. Elle a derrière elle un long palmarès mais garde à chaque fois certaines appréhensions : « J’avais peur que ce soit trop difficile avec des mouvements compliqués comme “la vague”. La première semaine on a fait beaucoup de cardio et beaucoup de sauts. Avec mes chevilles de 64 ans, ça aurait pu réveiller de vieilles entorses… » Il faut savoir que l’électro se danse à 126 BPM sur un rythme techno et demande une certaine endurance. « La danse électro c’est déjà une expérience en soi, alors la faire en avançant ça risque d’être vraiment très challengeant » confirme Miel. Ce qui n’empêche pas Florence de s’exclamer : « Je me donnerai à fond le jour J ! »
Le fameux jour J, Florence, Clément et les autres vont performer en continu une chorégraphie en deux parties qui commence par une première boucle de cinq minutes. « C’est le moment où “techno-Simba” [du dessin animé Le Roi Lion – Ndlr] va descendre du ciel, plaisante Miel. On fait un peu de méditation, les danseurs sont ensemble et marchent d’une manière assez sobre. » Sur les deux kilomètres du parcours, qui démarre à la mairie d’Aubervilliers et se termine à celle de Pantin, il faudra alterner entre cette respiration et les passages énergiques de la seconde boucle de six minutes. « Là, on est sur la partie vraiment dansée, avec des comptes sur la musique et une partition très écrite. Il y aura aussi des danseurs plus expérimentés qui vont aider les participants à rester connectés entre eux et focus. » Miel et Laura Defretin seront eux à l’extérieur du cortège pour l’encadrer, en gardant une vision d’ensemble, « une manière de donner de l’énergie et d’encourager le groupe ».
L’autre défi qu’il reste à relever : coexister avec les autres morceaux de la parade. L’ultime séance de répétition est réservée à ce travail de coordination, où tous les participants, plus d’un millier, seront enfin réunis avant le grand rendez-vous du dimanche 23 juin. Ce jour-là, tous et toutes en sont bien conscients : il ne faudra pas se défiler.
Franco-marocaine, Zineb Soulaimani a longtemps conduit des projets au sein de structures culturelles nationales, avec un passage à l’ambassade de France en Chine. Sa veille artistique dans le spectacle vivant, la performance et l’art visuel ainsi que son grand intérêt pour les apports des sciences humaines à la création artistique l’ont menée à fonder en 2021 le podcast Le Beau Bizarre. Une conversation en format long avec des artistes, curateurs ou chercheurs du paysage culturel contemporain. Elle collabore également avec le magazine Mouvement et Le Quotidien de l’art.
Christophe Berlet est un photographe franco-thaï autodidacte. Il vit et travaille à Paris. Il envisage la photographie comme un moyen d’être tourné vers les autres, un témoignage, une mémoire à la fois personnelle et collective qui lui permet de trouver un équilibre entre l’introspection et l’ouverture sur le monde. Intimement liée à sa façon de photographier, sa pratique du sport lui confère un rapport privilégié au mouvement et au corps. Il est aujourd’hui à un tournant de sa pratique photographique et développe des reportages sur le long cours dans lesquels il soulève les thématiques qui touchent directement à sa vie telles que la quête de sens, la recherche de ses origines et l’ancrage.
On ne va pas se défiler !
Le 23 juin à 16h au départ de la mairie d’Aubervilliers jusqu’à la mairie de Pantin
En savoir +Rave lucid
Chorégraphie : Mazelfreten
Le 19 juin au Théâtre National de Bretagne dans le cadre du festival (Under)ground du CCN de RennesSignatures
Chorégraphie : Mazelfreten et l’académie Fratellini
Les 19, 22 et 26 juin à Gennevilliers avec le T2G