#9 juin 25
Le document insolite :
De la musique au dessin,
les cahiers de Janine Solane
Juliette Riandey
Cahier de chorégraphie de La Grande Passacaille de Janine Solane (1948)
En avril, l’exposition « Chorégraphies. Dessiner, danser (XVIIe-XXIe siècle) » a ouvert ses portes, exposant dessins, carnets de notes et partitions produits par des danseurs et chorégraphes. Parmi les contributions du CN D à cette exposition, focus sur le cahier de chorégraphie de La Grande Passacaille de Janine Solane, artiste et pédagogue d’après-guerre aujourd’hui méconnue, dont l’œuvre est empreinte de sa relation fondamentale à la peinture et la musique.
« C’est une étude passionnante de la chorégraphie pour qui aime la forme, la ligne et le partage du vide et des masses. » Ainsi s’exprime dans son livre Pour une danse plus humaine la danseuse, chorégraphe et pédagogue Janine Solane (1912-2006) dont l’un des cahiers de chorégraphie est présenté dans l’exposition « Chorégraphies : dessiner, danser - XVIIe-XXIe siècle » inaugurée au Musée des Beaux-Arts et d’archéologie de Besançon en avril dernier.
Méconnue de nos jours, Janine Solane est une artiste singulière dont la carrière et l’œuvre ont marqué la danse en France avant et après la Seconde Guerre mondiale. Fille du sculpteur Louis Oury et nièce du peintre Marcel Lenoir, elle grandit dans le contexte du Montparnasse artistique de l’entre-deux-guerres et fréquente tout au long de sa vie écrivains, musiciens et peintres.
Ayant élaboré un langage chorégraphique très personnel mêlant diverses influences, entre danse libre, classique et expressionniste, elle se fait d’abord connaître comme soliste, inspirés par des personnages forts comme Jeanne d’Arc. Elle est aussi une excellente meneuse de troupe. Conduisant jusqu’à quatre-vingts danseuses au sein de sa Maîtrise, elle est très présente sur les scènes parisiennes et de province jusque dans les années 1960, et notamment au Palais de Chaillot, dès son inauguration en 1938.
Les archives de Janine Solane, déposées au CN D par sa fille Dominique après la mort de l’artiste, recèlent un grand nombre de cahiers de chorégraphie où la danseuse conçoit son œuvre. Ses chorégraphies, souvent empreintes d’une inspiration spirituelle, se caractérisent par une relation étroite aux œuvres majeures du patrimoine musical.
Grandes fresques à message, elles attirent un large public tout en divisant la critique. Autour d’un ou plusieurs thèmes, elles suivent une narration allégorique à l’inverse d’autres pièces abstraites telle la Fugue en sol (1941) où elle « danse la musique », selon les mots de la chorégraphe. Le cahier présenté ici concerne une de ses pièces de très grande envergure créée sur la scène du Palais de Chaillot en 1949, avec des dizaines d’interprètes, sur la musique de la Grande Passacaille de Johann-Sebastian Bach.
Cahier de chorégraphie de La Grande Passacaille de Janine Solane (1948)
Le thème développé par Janine Solane dans cette œuvre d’après-guerre est celui de l’humanité laborieuse, luttant contre les machines. Celles-ci finissent par être maîtrisées et le combat se change en fête, libération des corps mais aussi et surtout libération spirituelle, chemin vers le sacré.
Conçu durant de longues semaines, ce cahier décrit d’abord les différentes séquences de la narration émaillées d’idées de déplacements. « Il me fallait m’exprimer par images, par allusions qui seraient de saisissants raccourcis de l’action. » Et cette action, explique-t-elle dans son livre, elle commence « à la construire par un acheminement logique d’ambiance concordant avec les variations ».
Le plan de la Passacaille terminé, elle conçoit ensuite l’ensemble des déplacements et positions de ses danseuses. Chaque page est chargée de plusieurs calques superposés correspondant à une séquence musicale : « Demain, je vais attaquer la deuxième phase du travail. Celui de la chorégraphie minutieuse : un ou deux millimètres de disque par journée ! » Plus loin, elle ajoute : « J’ai recommencé à travailler. J’ai fini hier la deuxième face du deuxième disque, soit huit minutes. Quatre-vingt-dix calques et trois semaines de travail ! »
Ces pages de calques, dont la transparence permet de visualiser les mouvements à venir, sont entièrement dessinées avant les répétitions. Les déplacements et les positions seront respectées jusqu’à la version finale. L’improvisation, très valorisée par Janine Solane lors de ses cours à la Maîtrise, n’est pas de mise pour cette pièce de grande ampleur, et ce cahier présenté aux danseuses lors de la première répétition, posé sur le piano, restera la référence à laquelle toutes pourront revenir durant le travail.
Pour cette séquence des « oiseaux », le dessin de Janine Solane transpose la musique en lignes et courbes. Ici, comme dans nombre d’œuvres de la chorégraphe, le départ de la phrase musicale « semble être l’élan d’une spirale qui se déroule ».
Au CN D, Juliette Riandey est responsable du pôle Collections et valorisation.
Chorégraphies. Dessiner, danser (XVIIe - XXIe siècles)
Commissaires : Pauline Chevalier et Amandine Royer
du 19 avril au 25 septembre au Musée des Beaux-Arts de Besançon