CN D Magazine

#10 octobre 25

Danses amatrices au
Grand Palais :
au cœur de Cercles

Marie Plantin

CERCLES, Boris Charmatz, Grand Palais. CND Centre national de la danse © Christophe Berlet


En juillet 2025, le chorégraphe Boris Charmatz et ses interprètes investissaient la Nef du Grand Palais avec 200 amateurs pour danser Cercles. CN D Magazine a assisté à cet événement monumental, à mi-chemin entre l’atelier et le spectacle, pour recueillir impressions, images et témoignages des participants.

Plus de 1 000 candidatures. 200 participants sélectionnés. 3 fois 3 heures de répétitions en amont sur 3 jours et 3 soirées de restitution en public. Autant dire 3 fois rien. Mais assez. Suffisamment pour créer une synergie collective démente, une circulation d’énergie folle, une cohésion de groupe à l’échelle XXL.

Sous la verrière du Grand Palais, Boris Charmatz a convié le public à une forme hybride qu’il pratique depuis quelques temps déjà : Une « ruche pédagogique », la cohabitation scénique entre danseurs professionnels et amateurs, un dispositif d’atelier chorégraphique géant qui ne cherche pas la technicité à tout prix mais l’engagement de toutes et de tous, la réinvention de matériaux chorégraphiques existants, une danse élargie qui s’empare d’espaces non dédiés, une danse démocratique donc politique. 

L’expérience n’est pas nouvelle. Le déplacement et l’accueil sont au cœur de la démarche du chorégraphe, ancien directeur du Tanztheater Wuppertal, qui s’emparait déjà de ce lieu-cathédrale avant sa fermeture pour travaux avec La Ronde (2020). Puis Happening Tempête (2021) inaugura le Grand Palais Éphémère et voici Cercles qui réinvestit l’immensité de l’ancienne Nef pour sa réouverture, après un premier essai au Stade de Bagatelle à Avignon en 2024, puis, la même année, à Wuppertal sur des terrains de foot. 

« J’ai commencé sur le tard. Je pratique surtout la danse africaine et j’adore tout ce qui est projet amateur. C’est une exigence, c’est un challenge, pour toi, pour ton corps, dans un endroit fabuleux. Je me sens chanceuse. » Zowie Bel

Un an plus tard, Cercles s’est glissé dans cet écrin patrimonial aux dimensions d’exception. « C’est un peu l’Église de la République, c’est chargé, mais le lieu nous porte aussi » nous avoue le chorégraphe, une heure avant la première. À la tête de la compagnie TERRAIN, Boris Charmatz aime inventer d’autres scènes, aller au-devant des populations, amener la danse dans l’espace public, y puiser de nouveaux gestes.

Le groupe est volontairement éclectique, la diversité est générationnelle (de 16 à 75 ans) mais elle est aussi de genre, d’origine, de milieu socio-professionnel, de corpulence et de pratique sportive. La soirée commence par un échauffement. En grappes, les participants suivent leurs interprètes meneurs. Boris Charmatz guide le déroulé de l’événement depuis le bord du plateau, tee-shirt immaculé portant l’inscription « Bonne chance », qui fait office de mantra. 

« Je suis assez friande de shoots intenses de projets galvanisants. Une osmose avec 200 danseurs, une création sur une semaine, au contact de profils très différents, c’est très humain, c’est aussi intense psychologiquement que physiquement. » Ludivine Boizard

Tout autour, le public s’amoncelle, libre de déambuler ou de s’installer sur des matelas à même le sol. L’horizontalité est de mise et rien n’est figé. La chorégraphie débute par une marche lente qui converge vers le centre, éclate en individualités dansantes puis rassemble dans une reprise d’Étude révolutionnaire (1921) de la pionnière de la danse moderne Isadora Duncan.

La figure du cercle, récurrente dans l’histoire de la danse, file sa métaphore cyclique et fédératrice. S’inspirant de diverses danses traditionnelles et de son propre répertoire, Boris Charmatz poursuit son geste émancipateur qui libère les corps et sort la discipline de son carcan académique. Il est épaulé par son collaborateur régulier, Yves Godin, dieu de la lumière et d’une bande son signée MEUTE, fanfare électro allemande phénoménale.

« On s’est rencontré là. Se quitter après ce projet, ça va être compliqué. Quelque chose s’est créé dans le lien. Il y a une vraie prise en considération de la part des chorégraphes professionnels et une liberté dans l’interprétation des gestes. » Mathilde Alexis et Sayaan Nara Lan

L’expérience charrie son lot de réminiscences. On pense à Des Gens qui dansent (2002) ou à Trois Générations (2004) de Jean-Claude Gallotta, au Sacre du Printemps (2012) de Thierry Thieû Niang avec des personnes âgées, et l’on se dit que s’il est en rupture avec une certaine esthétique – la danse a une longue histoire avec la perfection –, Boris Charmatz cultive néanmoins un lien avec elle. 

Lien à l’archive, à l’histoire et à ses pairs. Accolades, passages au sol, courses insensées, îlots de lenteur, et cet immense cercle de corps qui se compacte et enfle comme un organe qui respire, un vortex chorégraphique. La dramaturgie alterne mouvements d’ensemble et éclatement de la forme en improvisations électriques. La partition d’Isadora Duncan revient en boucle comme une épiphanie collective. En astronomie, le mot « révolution » désigne le mouvement orbital d’un corps céleste autour d’un autre. Les circularités fécondes de ce spectaculaire atelier font de nous les satellites d’une transe frénétique mémorable.

Journaliste et critique spécialisée scènes, Marie Plantin écrit pour Sceneweb, Paris Mômes, Version Femina, L’Œil et enseigne à l’Institut d’études théâtrales de la Sorbonne Nouvelle. Après des études de lettres modernes et de cinéma, elle se forme au jeu d'acteur, à la danse contemporaine et participe à des projets au plateau. En parallèle, elle écrit pour L’Annuel du Cinéma et intègre l’agence de presse Plurimedia où elle se spécialise dans le spectacle vivant. Entre 2015 et 2020, elle couvre la vie culturelle parisienne sur Pariscope.fr et participe à la revue trimestrielle Théâtre(s).

Christophe Berlet est un photographe franco-thaï basé à Paris. Autodidacte, il développe depuis plus de vingt ans une pratique professionnelle au croisement de la mode, du sport et de la culture. Il considère la photographie comme un moyen de se relier aux autres, d’explorer ce qui les anime, leurs gestes, leurs élans, leurs histoires. Cette attention à l’humain, au mouvement et au corps trouve un écho dans sa propre pratique du sport, intimement liée à sa manière de photographier. Aujourd’hui, il approfondit une démarche plus personnelle à travers des projets au long cours, où il interroge ses origines, son besoin d’ancrage. En allant à la rencontre des autres, il cherche aussi à mieux se comprendre lui-même.

À bras-le-corps
Chorégraphie : Boris Charmatz et Dimitri Chamblas
les 3 et 4 novembre
au Théâtre de Nîmes

Étrangler le temps
Chorégraphie : Boris Charmatz et Emmanuelle Huynh
le 27 novembre
Le Vivat, Armentières

Emmitouflé
Chorégraphie : Boris Charmatz
le 29 novembre
au Parc du Vivier, la Manufacture CDCN, Mérignac 

Sylphides
Chorégraphie : Cecilia Bengolea et François Chaignaud 
du 17 au 18 décembre
au Grand Palais
dans le cadre du Festival d’Automne 2025