CN D Magazine

#9 juin 25

Sorties d’école :

le grand saut des danseurs dans la vie professionnelle

Claudine Colozzi


L’entrée des jeunes dans le monde du travail constitue un sujet de préoccupation, tous secteurs artistiques confondus. Les écoles formant au diplôme national supérieur professionnel de danseur se sont emparées de cette question et tentent d’accompagner le mieux possible l’insertion professionnelle de leurs anciens étudiants. À l’occasion du festival Camping, CN D Magazine fait le point sur la situation.

Comme chaque année, 300 étudiants issus d’écoles d’art du monde entier investissent le CN D pour une dizaine de jours au mois de juin. Lieu d’échanges, d’expérimentations artistiques et de rencontres, Camping s’est imposé depuis son lancement en 2015 comme un passage obligé pour beaucoup de professionnels en début de carrière. D’ailleurs, en marge des workshops, des permanences ressources professionnelles sont également proposées. « Camping représente un moment important pour nos étudiants qui terminent leur cursus. Des propositions de travail découlent régulièrement des rencontres qui se créent sur place », souligne Gabriel Schenker, responsable académique du Bachelor en danse contemporaine à la Manufacture - Haute école des arts de la scène de Lausanne. 

L’enjeu de l’insertion professionnelle des jeunes danseurs se situe au cœur même de la formation supérieure. « Cette question apparaît de manière informelle dès le concours d’entrée, évoque Gabriel Schenker. Les candidats demandent de manière récurrente ce que deviennent les diplômés en sortant de l’école. » En France, les six formations habilitées par le ministère de la Culture à délivrer le diplôme national supérieur professionnel de danseur (DNSPD) ont intégré au sein de leur cursus la question de l’entrée sur le marché de l’emploi. « Il ne s’agit pas uniquement de dispenser des apprentissages techniques et artistiques, précise Alice Rodelet, directrice du département Transmission et Métiers au CN D. Des mises en situation professionnelle doivent être organisées par les établissements. »

La professionnalisation démarre donc en principe dès le parcours de formation. D’abord parce que les écoles supérieures sont des lieux de rencontres privilégiés entre les jeunes et les intervenants, souvent des chorégraphes en activité susceptibles de les engager dans leurs futurs projets. Elles offrent les conditions optimales pour se constituer un réseau, un élément fondamental dans ce métier. L’École supérieure de danse contemporaine d’Angers, qui fait partie intégrante d’un centre chorégraphique national, bénéficie même d’un ancrage unique au cœur des réalités professionnelles. « Les étudiants évoluent dans un espace qui est aussi un lieu de programmation, de production de spectacles et d’actions à destination du public, explique Amélie Coster, directrice pédagogique. C’est une richesse car ils peuvent côtoyer des artistes en résidence qui répètent et se produisent sur scène. »

 « Il existe une immense césure entre une pratique collective très encadrée et le grand saut dans la vie professionnelle » Eléna Lecoq

Durant la formation, les écoles dispensent des cours pour sensibiliser les étudiants aux enjeux d’une carrière artistique. « Dès la moitié du cursus, nous proposons un module baptisé School-to-work Transfer, explique Gabriel Schenker. Nous invitons des anciens étudiants pour donner des exemples concrets de trajectoires professionnelles afin qu’ils comprennent la multitude de possibilités et de parcours qui s’offrent à eux. » En effet, les années de formation permettent de découvrir sa personnalité artistique et d’expérimenter de différentes manières son futur métier. « Nous donnons des outils pour initier un début de réflexion sur ce qu’ils auront envie de développer en sortant l’école, explique Marion Colléter, directrice déléguée du Cndc d’Angers. Cela se construit au fur et à mesure. »

Négocier le passage entre les établissements d’enseignement supérieur et le monde professionnel apparaît comme essentiel. Car beaucoup de jeunes diplômés sont confrontés à une sorte de vide après le cadre structurant de l’école. « Il existe une immense césure entre une pratique collective très encadrée et le grand saut dans la vie professionnelle, constate Eléna Lecoq, 24 ans, sortie du CNSMD de Lyon en juin 2023. Au début je me suis retrouvée contrainte à prendre un travail alimentaire en tentant de maintenir une pratique de la danse, raconte la jeune femme, qui tourne désormais dans la pièce Dogs de Michel Schweizer. J’ai eu le sentiment qu’on m’avait surtout formée pour répondre à l’univers d’un chorégraphe, mais pas à la réalité du métier. »

« Le terme même d’insertion implique de s’adapter à l’existant, or les jeunes nous poussent à nous remettre en question dans un terrain professionnel en mouvement » Marion Colléter

Si des modules sont dispensés sur le droit du travail ou la gestion de carrière, les jeunes danseurs demeurent un peu perdus quand la réalité se juxtapose à ce qu’ils ont découvert durant leurs études. « Cela peut sembler abstrait tant qu’ils ne sont pas confrontés à certaines situations comme lire un contrat de travail ou produire son propre spectacle, constate Alice Rodelet. C’est la raison pour laquelle l’insertion ne peut être uniquement gérée par les écoles. Le pôle Ressources professionnelles du CN D prolonge l’accompagnement de ces jeunes sur toutes les questions relatives à leur carrière. »

Dans un contexte extrêmement difficile pour les jeunes artistes, qui jonglent avec plusieurs emplois, la recherche de lieux pour créer et d’opportunités pour montrer leur travail, la question d’une évolution de l’accompagnement des écoles se pose. « Le terme même d’insertion implique de s’adapter à l’existant ; or les jeunes nous poussent à nous remettre en question dans un terrain professionnel en mouvement, analyse Marion Colléter. Il y a deux ans, nous avons lancé un programme spécifique à l’École supérieure de danse contemporaine d’Angers pour suivre les jeunes diplômés de façon individualisée. » La génération actuelle est beaucoup plus flexible, plus « agile à passer d’un projet à un autre » avec « une conscience plus grande de ce qui va leur permettre d’exister en tant qu’artiste chorégraphique ». 

Finie l’époque où l’on était d’abord interprète avant de devenir chorégraphe. Aujourd’hui, on expérimente toutes sortes de projets dès la sortie d’école. Le constat est que beaucoup de jeunes artistes se structurent en collectifs pour se lancer dans la création. Après une carrière au Brésil, Lucas Resende, 33 ans, a suivi le cursus de L’École supérieure de danse contemporaine d’Angers. Une manière de démarrer un nouveau chapitre et de bâtir un parcours professionnel plus ancré en Europe.

À la fin de son cursus en 2024, en plus de quelques pièces en tant qu’interprète, notamment pour Mathilde Monnier, il monte sa compagnie Blue Lava avec Alina Tskhovrebova, une autre diplômée. « La formation est très intense. Et quand on sort de ce cadre privilégié, on est confronté à l’envie de développer ses propres projets avec l’obligation de cumuler des jobs “alimentaires” pour payer son loyer. » Navigant entre leurs aspirations personnelles et la réalité du monde professionnel, beaucoup parviennent à se frayer leur propre chemin avec constance et patience.

Au milieu des années 1990, encore étudiante à l’École Supérieure de Journalisme de Lille, Claudine Colozzi effectue un stage à la revue Les Saisons de la danse où elle apprend à aiguiser son regard critique. Journaliste en presse magazine, formatrice, elle traite de sujets très variés, notamment autour de la thématique du handicap. Elle continue de nourrir sa curiosité inépuisable pour la danse en écrivant pour des sites comme Danses avec la plume ou L’œil d’Olivier. Elle est l’autrice d’ouvrages documentaires pour la jeunesse dont L’Encyclo de la danse (Gründ), Dans les coulisses de l’Opéra, La danse classique et Passion hip-hop (Nathan), Une danseuse ne porte pas de lunettes (Kaléidoscope).

Festival Camping
du 16 au 27 juin aux SUBS, à la Maison de la Danse à Lyon, au CNSMD de Lyon, au CN D à Lyon, au Théâtre Le Ciel et au Studio Chatha
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Précédentes éditions du festival Camping 

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