#9 juin 25
Révision de vocabulaire : le workshop
Emmanuelle Huynh, Mathilde Monnier, Calixto Neto
Camping Pantin 2024, capture vidéo, CND Centre national de la danse © Thomas James
Ni vraiment un cours, ni vraiment un stage, le workshop – que l’on peut traduire en français par « atelier » – a fait son entrée dans l’écosystème des danseurs depuis une dizaine d’années. Pour les 10 ans de Camping, CN D Magazine a proposé à trois artistes qui y ont donné des workshops de partager leur définition du terme.
« L’atelier permanent » Mathilde Monnier
« Workshop » est devenu un mot-valise. Je préfère le terme « atelier » pour parler de ces espaces ressources qui, contrairement à un cours de danse, ne se limitent pas à la transmission d’une technique. Dans un atelier, le champ pédagogique est beaucoup plus ouvert : il s’agit de rencontres, d’échanges, d’expérimentation, de créativité. Ce qui s’y tisse est très fort. Et ces moments sont toujours d’incroyables thermomètres pour prendre la température de ce qui se joue dans le milieu de la danse.
La transmission et la création se situent au même niveau pour moi. Je mène ces pratiques en parallèle dans une sorte d’atelier permanent depuis que j’ai commencé à danser. La pédagogie me permet de poursuivre mes recherches dans un temps continu, d’être en lien avec différentes générations, d’inviter d’autres chorégraphes et de les voir travailler, parfois même de rencontrer des interprètes. Je ne fais plus d’auditions depuis presque vingt ans !
Je n’ai pas fait d’école – il n’y en avait pas. Je me suis donc formée en participant à des stages. Je me souviendrai toujours de l’un d’entre eux, donné par Mark Tompkins. Ce qu’il proposait était tellement à l’opposé de ce que je faisais… Ça m’a traumatisée (rires) ! La question de la résistance est toujours passionnante. Souvent, ce sont des effets de posture ou des présupposés qui empêchent d’être véritablement dans l’expérience, alors que le plus intéressant est justement de s’immerger, de se laisser déplacer. Pour que ce lâcher-prise soit possible dans un workshop, il me semble fondamental que le cadre soit très clair : quelle question sera creusée ? Quels ingrédients, pistes ? Même si, bien sûr, quand on ouvre la boîte, les choses évoluent et nous emportent ailleurs… Les étudiants sont tellement gavés de stages toute l’année. Ce contrat de base permet que le participant fasse un choix, qu’il ne consomme pas ce workshop comme un autre. Depuis quelques temps, les ateliers que je mène sont gratuits et sans exigence de niveau : pour qu’il se passe quelque chose, le plus important est que les participants aient du désir, et une vraie présence.
Camping Pantin 2024, CN D Centre national de la danse © Marc Domage
« Organiser un contexte d’échange » Calixto Neto
Le workshop a une place très importante dans mon parcours. À Recife, la ville du Brésil dont je viens, il n'y a pas d'école de danse. Je me suis construit comme interprète en multipliant les ateliers et j’ai toujours adoré ça. Ce sont des espaces de découverte, des portes vers des univers différents, des techniques, des écritures.
Le workshop est avant tout, pour moi, une façon plastique d’organiser un contexte d’échange. Il s’agit vraiment de rencontres qui vont dans les deux sens. Bien sûr, en tant qu’orchestrateur, je viens avec les expériences que j’ai traversées : ces temps sont l’occasion de déplier autrement les matières présentes dans des processus artistiques. Mais les participants viennent eux aussi avec une histoire, un background, des attentes. Le dernier stage que j’ai donné s’articulait autour du processus de transmission du solo O Samba Do Crioulo Doido de Luiz de Abreu et des matières présentes dans Il faux, mon dernier solo. Au cours d’un exercice, les stagiaires ont trouvé dans leur propre corps d’autres centres de force, d’autres points de vecteur du mouvement, d’autres manières de bouger. Ce n’était pas forcément l’objectif, mais ça a été incroyable !
Sachant à quel point ces moments peuvent être marquants, je prends très au sérieux mes responsabilités quand j’enseigne. Que ce soit avec des enfants, des amateurs ou des professionnels, je me pose toujours énormément de questions. Cela me permet de mieux comprendre comment je vais pouvoir transmettre quelque chose, comment je vais apprendre des participants, de moi-même, mais aussi et surtout, de la rencontre elle-même. Comment établir une autre idée des relations qui peuvent se tisser entre une personne qui transmet un savoir, et celles qui le reçoive ? Comment construire une éthique de travail plus égalitaire et plus horizontale, en dépit de la hiérarchisation qui existe toujours dans un contexte de transmission ? Ces questions sont fondamentales : les workshops nous permettent de nous demander quel professionnel nous voulons être dans les contextes collectifs que nous allons rencontrer dans nos vies.
Camping Lyon 2024, CN D Centre national de la danse © Marc Domage
« Une pédagogie de création » Emmanuelle Huynh
Le workshop est un partage de ressources autour d’une question, d’une vision, d’une thématique déjà traitée. Sinon, c’est plutôt un laboratoire où l’on cherche tous ensemble en se transmettant mutuellement nos attitudes de travail. Ces ressources peuvent être exogènes à la danse – des lectures, des notes, des podcasts, des images – ou endogènes : des gestes, des danses, des opérations de traduction entre ces ressources et ce que cela a produit dans mon corps. Aux participants, alors, de s’emparer à leur tour de la question qui m’a animée et de produire leur propre réponse en une journée, trois jours, une semaine. Les workshops sont de petites créations, on ne peut pas en faire à la chaîne ! Quand la personne qui transmet a bien préparé et que les personnes en face ont envie et s’impliquent, c’est vraiment merveilleux. J’ai un souvenir sublime du workshop donné par Trisha Brown à l’Opéra de Montpellier en 1995 autour de M.O. (Offrande musicale).
Le workshop est une pédagogie de création. Il s’agit de transmettre une attitude de travail, une façon de chercher, des compétences techniques – une manière de s’échauffer, un certain type de danses – et aussi une manière d’articuler les deux : comment chercher avec et à travers le corps autour d’une question. Cette définition me vient de ma formation : j’ai étudié la danse et la philosophie en parallèle. Il n’y avait pas de master dédié à la danse à l’époque, donc j’ai dû moi-même orchestrer les liens entre ces deux disciplines.
Aujourd’hui, je rêverais d’avoir le temps de suivre les workshops de mes collègues de Camping au CN D, ou ailleurs. Je manque de temps. Heureusement, l’atelier que je dirige aux Beaux-Arts de Paris me permet d’inviter d’autres artistes et d’en « profiter » moi aussi. J’ai la possibilité d’initier, mais d’être élève également. Je suis les enseignements des intervenants extérieurs au même niveau que mes étudiants. C’est vital de pouvoir continuer à me nourrir ainsi, d’apprendre des choses que je ne sais pas, ou plus, d’avoir une réflexion active.
Propos recueillis par Aïnhoa Jean-Calmettes
Aïnhoa Jean-Calmettes est journaliste culture & idées. Rédactrice en chef du magazine Mouvement de 2014 à 2023, elle continue d’y coordonner les rubriques « Sortir du XXe siècle » et « Après la nature ». Elle poursuit ses réflexions sur les croisements entre création contemporaine et sciences humaines par l’écriture de textes critiques, d’articles d’analyse et d’enquêtes sur le milieu artistique. Elle collabore avec de nombreuses institutions culturelles et modère régulièrement des rencontres.
Camping
du 16 au 27 juin aux SUBS, à la Maison de la Danse à Lyon, au CNSMD de Lyon, au CN D à Lyon, au Théâtre Le Ciel et au Studio Chatha
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