CN D Magazine

#1 sept 22

Dans les coulisses de Navy Blue, la création d'Oona Doherty

Sinje Hasheider


Navy Blue, Oona Doherty, Photo Sinje Hasheider

Venue d’Irlande du Nord, Oona Doherty est reconnue aujourd’hui dans le monde entier pour sa sensibilité à fleur de peau. En août, elle dévoilait la création la plus ambitieuse de sa carrière, Navy Blue, en amont d’une tournée qui passe par Paris cet automne. Dans les semaines qui ont précédé la première au Kampnagel de Hambourg, la chorégraphe, qui a reçu en 2021 le Lion d’argent de la Biennale de danse de Venise, s’est plongée dans le travail sans rien dévoiler de son projet. La photographe Sinje Hasheider fait partie des rares personnes ayant été autorisées à la suivre en répétition, avec les douze interprètes. Pour accompagner ses images, elle est revenue sur cette expérience pour CN D Magazine.


Regard de photographe : Sinje Hasheider

Je me souviens très distinctement de la première fois que j’ai vu Oona Doherty. Assise dans les ténèbres chaudes du Théâtre Kampnagel, elle était songeuse et réservée, en pleine discussion avec Gabrielle, sa manager, une cigarette roulée à la main. Elle était lumineuse, avec ses yeux bleu glacier et son teint éclatant. Elle portait une veste rouge bonbon, et j’ai eu envie de la photographier. J’ai tout de suite aimé son charisme paradoxal : à la fois gracieuse et presque vulnérable, elle semblait néanmoins puissante et déterminée. J’ai vu en elle une personne qui sait ce qu’elle veut. Plus tard, elle a décliné ma proposition de faire son portrait. Elle préférait que l’on se concentre sur les danseuses et danseurs, et non sur elle.

Devant la scène puis sur celle-ci, j’ai vu à quel point elle était investie et concentrée. Les interprètes semblaient patients et inspirés par ses suggestions : quand Oona se mettait à danser, tout le monde était comme hypnotisé.

Ce soir-là, je suis allée au bout des possibilités de mon appareil photo, même si ce dernier est l’un des modèles à objectifs interchangeables les plus récents et les plus performants du marché. Pourquoi ? Parce qu’il faisait noir. Vraiment noir. Les mouvements des danseurs étaient lents et fluides par moments, puis soudain s’étourdissaient, rapides et si fugaces que mon regard pouvait à peine les suivre.

J’ai tout de suite aimé le sol blanc qu’Oona Doherty a choisi pour Navy Blue. J’ai essayé de photographier de face pour diriger l’attention sur le centre de la scène et non sur l’arrière-plan, plus chargé. Le fond noir s’est révélé parfait pour mettre en valeur les visages des interprètes, et je me suis retrouvée fascinée : chaque visage semblait singulier. Oona doit avoir un œil affuté quand elle choisit des artistes. Leurs visages étaient à la fois forts et fragiles, à l’image de la chorégraphe. Voilà bientôt presque un mois que j’ai pris ces clichés de Navy Blue, mais je peux encore décrire chaque danseuse et danseur, tant leur interprétation était frappante et leurs mouvements chargés d’émotion. Une forme d’urgence, comme un tourbillon, se dégageait du groupe, comme s’ils se battaient pour survivre. Parfois tout amour semblait perdu, puis ils revenaient, les bras grands ouverts, s’étreignant les uns les autres.

Navy Blue
chorégraphie Oona Doherty
22.09-1.10.2022 Chaillot Théâtre national de la danse, Paris
18 et 19.11.2022 La Pavillon noir, CCN d’Aix-en-Provence
22 et 23.11.2022 MC2, Grenoble
26.11.2022 Le Volcan, Le Havre
oonadohertyweb.com