La création en médiation :
anatomie du dispositif Assemblé

Charlotte Imbault

Les projets de territoire avec les habitants s’inscrivent de plus en plus dans la programmation des théâtres, à l’image du dispositif Assemblé, mis en place par le CN D entre 2021 et 2025. À l’occasion de la sortie de Double Voix, podcast qui explore les enjeux de ce dispositif, sa réalisatrice Charlotte Imbault déplie les liens entre création et médiation.

Depuis plusieurs années, les projets artistiques dits de « territoire » ou nommés « éducation artistique et culturelle » se sont développés, incitant les chorégraphes non seulement à travailler, mais aussi à créer avec les publics scolaire, hospitalier, pénitentiaire, ou avec des groupes d’habitants constitués pour l’occasion par la ou les personnes en charge de la médiation dans la structure culturelle d’accueil.

Ces projets, plus ou moins fréquents, sont d’ampleur variable. Mais il faut préciser que leur qualité dépend de la durée et de l’intensité des actions, car un temps long – ou de longues plages horaires – est nécessaire à la réalisation des objectifs : créer du lien entre la structure culturelle et son territoire, sensibiliser à l’art et à la création par une aventure collective.

Ces projets se composent souvent d’une série d’ateliers qui amène à une restitution finale, le plus souvent devant un public. Cette restitution – qui peut avoir le statut d’œuvre – ne fait habituellement pas partie de la programmation du lieu, c’est-à-dire qu’elle n’est pas mentionnée dans le programme aux côtés des spectacles présentés ; tout au mieux apparaît-elle dans le programme des actions culturelles ou des performances pour les amatrices et amateurs.

Cette frilosité peut être expliquée par le caractère même de ces créations collectives avec les habitants qui, par essence, sont du côté de l’imprévu et de la vulnérabilité, puisque le travail se fait avec des corps habituellement non-initiés à la danse, sur un temps donné. Au début du projet, personne ne peut prévoir quelle sera la qualité de présence des participants et ce qu’elles vont devenir devant le public.

Les temps changent un peu depuis quelques années puisque plusieurs structures, comme Les Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis (RCI), la MC93 à Bobigny et le TU de Nantes en tête et, plus récemment, La Maison Danse à Lyon et le Centre national de la danse, intègrent ces créations étranges, atypiques et incertaines à leur programmation aux côtés d’autres spectacles, à visibilité égale.

Depuis 2021, le CN D a expérimenté un nouveau dispositif nommé « Assemblé » avec des habitants de villes alentours (Bobigny, Cergy, Les Lilas, Pantin et Romainville) et avec différentes structures (dont les RCI). Il produit des objets chorégraphiques rendus visibles à l’occasion de l’événement 1 km de danse, organisé par le CN D à Pantin, aux côtés de créations issues du champ professionnel.

« L’idée était de mettre en avant le patrimoine chorégraphique et sa diversité en considérant que tout le monde est porteur de danses », précise Fanny Delmas, responsable du Pôle Éducation artistique et culturelle du CN D. « On cherchait à aller à la rencontre des habitants pour présenter ces patrimoines. Souvent, on rencontre des personnes qui disent “je ne sais pas”. Elles se croient non-sachantes, alors même qu’elles ont des savoirs chorégraphiques. Comment conscientiser ces savoirs que chacun porte en soi pour venir renforcer, par voie de conséquence, la compréhension de leurs capacités ? », poursuit-elle. 

Le dispositif Assemblé, découpé en plusieurs temps de rencontres sur la saison (rencontrer, enquêter, créer, partager), pose une autre question devenue centrale au fil des années : Comment créer collectivement ? En effet, l’artiste invité, la personne médiatrice et le groupe d’habitants doivent trouver un terrain commun de création. C’est une grande nouveauté pour ce genre de projets, car habituellement, la création proposée est signée seulement par l’artiste « qui crée avec ». « La création collective, c’est un cadre, une utopie, et chaque binôme artiste-médiatrice a trouvé les modalités diverses de la mettre en place », analyse Fanny Delmas. 

Ce projet met aussi en avant la relation entre artiste et médiatrice, loin d’être reléguée aux missions d’organisation. Double Voix en témoigne, à travers les mots des trois binômes choisis parmi les huit qui ont participé depuis 2021. Ainsi Rémy Héritier avec Fanny Delmas, Marcela Santander Corvalán avec Anaïs Garcia et Magda Kachouche avec Léa Sabran reviennent sur les méthodologies mises en place pendant Assemblé. Ils et elles abordent plusieurs enjeux autour du « faire binôme », de l’organisation des journées ou encore de la notion d’auctorialité, déployant une réflexion sur le rôle de la médiation dans la création.

La création est-elle indissociable de la médiation ? Peut-on créer sans médiation – si l’on définit la médiation comme lien ou endroit de rencontre ? Pour Marcela Santander Corvalán : « Les projets comme Assemblé sont des outils politiques. Longtemps, on a dit que les artistes engagés dans la médiation étaient moins artistes, et je pense qu’aujourd’hui, on mesure le besoin de réaliser des projets un peu plus larges que des pièces chorégraphiques. » Il est peut-être temps de mieux visibiliser ces projets pour que la danse reste au creux du monde.

Critique d’art, éditrice de la revue watt et artiste, Charlotte Imbault crée des formats d’éditions, des dispositifs de programmation et des pièces sonores. Côté son, depuis 2015, elle crée des podcasts et des pièces qui s’écoutent en ligne, sous forme d’installations ou pour la scène. Côté édition, elle écrit sur les arts performatifs depuis une vingtaine d’années au sein de revues, d’ouvrages collectifs ou pour des institutions. Elle a été rédactrice en chef adjointe de la revue Mouvement et co-curatrice des week-ends Sur les bords au T2G (2019-2024).

Dispositif Assemblé
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Podcast Double Voix
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Cycle de formation à la médiation 2025-2026
Proposé par le CN D
à La Briqueterie CDCN du Val-de-Marne, Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, Les Laboratoires d’Aubervilliers, Palais de Tokyo, Maison du Geste et de l'Image, Atelier de Paris / CDCN
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Sur les bords 9 s’édite avec watt
le 17 janvier 2026
au T2G - Théâtre de Gennevilliers