CN D Magazine

#6 juin 24

Break aux JO : préparer les « arthlètes »

Léa Poiré

Mathilde Uson, préparatrice physique de l’équipe de France de break à l'INSEP


Né dans les rues du Bronx au début des années 1970, le break s’est depuis frayé un chemin jusqu’aux podiums olympiques – aux Jeux de la jeunesse à Buenos Aires en 2018 puis Paris 2024. Cette évolution a apporté reconnaissance, structuration et viabilité économique aux b-girls et b-boys. Elle a aussi permis de rendre centrale une dimension autrefois laissée de côté dans la discipline : la santé. Mathilde Uson est préparatrice physique et travaille avec l’équipe de France de break à l’INSEP. À la veille de la dernière étape de sélection pour les Jeux, la professionnelle nous éclaire sur son métier, peu connu du grand public mais essentiel aux artistes-athlètes.

Comment définissez-vous votre métier de préparatrice physique ?

Mathilde Uson : Nous sommes là pour développer les athlètes du point de vue sportif et physique, en cherchant à exploiter au mieux leur potentiel pour améliorer leurs performances dans leur domaine de prédilection. C’est un métier peu connu et dans l’ombre du coach, quelqu’un qui, en général, a longtemps pratiqué l’activité. Notre travail est pluridisciplinaire et porte autant sur la musculation, l’augmentation de la force ou de l’explosivité que sur la nutrition ou le sommeil. Je souligne souvent qu’en tant que femme, entrer dans le domaine du haut niveau et faire ce métier, c’est encore très compliqué.

Dans le milieu du break, la santé et l’attention à son corps n’ont pas toujours été prises en compte…

M.U. : Les pionniers du break ont, pour beaucoup, des corps abîmés. C’est une discipline traumatologique et l’un des sports où l’on flirte le plus avec le risque de blessures, qu’elles soient graves ou juste inflammatoires. Les danseurs prennent sans cesse des risques dans leurs mouvements, avec beaucoup d’étirements, de vitesse, de puissance. Et s’il n’est pas prêt, le corps ne fera pas de compromis. Les principales blessures concernent les ménisques, par le travail de footwork, au niveau des cervicales à cause des tours sur la tête et sur les poignets, du fait des appuis au sol. La ceinture pelvienne, adducteurs, abducteurs, fléchisseurs des hanches, sont aussi hyper sollicités pour les mouvements de rotation. Ce sont des tous petits groupes musculaires qui n’ont pas envie de se faire bousculer comme ça.

Y a-t-il une préparation spécifique pour les b-girls et b-boys ?

M.U. : Je considère le break comme un sport à part entière et j’adapte le programme de préparation physique à chaque individu. Mais j’ai la particularité de réunir la dizaine d’athlètes que j’accompagne sur les mêmes séances pour créer un esprit collectif. Judokas ou breakeurs ont le même objectif de médaille, qu’elle soit olympique ou paralympique. En moyenne, mon travail avec eux se déroule sur quatre temps d’une heure par semaine en trouvant un équilibre entre le développement des capacités physiques, d’une musculation préventive et le cardiovasculaire. Lors des périodes hors compétition, on peut doubler la durée des sessions. Il faut savoir que dans le break, les entraînements ont la particularité d’être très longs, allant parfois jusqu’à 5 heures. L’ancienne génération peut passer la journée dans la salle. Il s’agit donc de faire comprendre aux danseurs comment mieux optimiser leur charge de travail : par exemple, faire davantage de cardio durant nos séances car ce sera plus cadré et donc plus efficace. L’idée c’est que j’apprenne le fonctionnement de leur discipline et qu’eux comprennent la physiologie, pour faire marcher ça main dans la main.

Quelles évolutions avez-vous observées chez les danseurs que vous préparez ? 

M.U. : Aujourd’hui je m’occupe spécifiquement de Carlota Dudek – que je suis depuis 2018, dès le début de son projet de structuration olympique – et Khalil Chabouni. Lui, c’est un « papy » du break, avec vingt ans de carrière ; on ne l’attendait pas sur la route vers les Jeux, mais il est bien là. Carlota a beaucoup développé sa musculature, souvent je rigole en lançant : « Je prends 10 % sur la prise de tes épaules. » Sa fréquence cardiaque a aussi évolué, elle se fatigue beaucoup moins, elle gagne en vitesse. Aussi, certains moves qui étaient compliqués pour elle au début passent aujourd’hui sans soucis. C’est difficile de savoir si c’est grâce à la technique de break ou à la force ; pour moi c’est un combo des deux.

Intervenez-vous sur l’après effort et l’échauffement ?

M.U. : Quand le break a été reconnu comme sport, on a travaillé avec les différents corps de métiers, kinés, coachs, médecins, pour instaurer des protocoles de récupération. L’INSEP met tout à disposition pour cela. On donne un maximum d’informations aux breakeurs pour qu’ils l’instaurent dans leur quotidien : mettre en place des étirements pour garder l’aspect élastique de leur break, prendre un bain froid après l’effort ou pour atténuer le jet lag, savoir quand mettre plutôt du chaud. L’échauffement, en revanche, c’est très personnel. On est là pour les orienter, rappeler l’importance de la mobilité articulaire, comment monter progressivement le rythme cardiaque, etc., et chacun calibre ce temps à sa façon. Certains auront besoin de se mettre dans une bulle, d’autres de se faire bousculer. Cela étant, je vois encore beaucoup de jeunes se jeter sur les tapis sans être chauds !

Comment s’envisagent des Jeux Olympiques dans un parcours de danseur ?

M.U. : Un tel événement se prépare au moins depuis quatre ans. Au début, il y avait tout à faire chez ces athlètes : un travail de fond pour prévenir les éventuelles blessures, monter les curseurs physiques, éduquer. À présent on est sur la période terminale avec les phases de qualification. La préparation est alors plus spécifique au break de chacun : du cardio très court et très intense, de la prophylaxie [moyens mis en œuvre pour empêcher l’apparition ou l’extension de maladies – Nda], plus de récupération. L’objectif c’est de faire du « jus » pour qu’ils arrivent le plus frais possible en battle.

Qu’en est-il de l’aspect mental ? 

M.U. : Le break est un sport artistique qui donne beaucoup de place à la liberté. Avec les préparateurs mentaux et psychologues de l’INSEP, on essaye donc de faire en sorte que le physique soit en lien étroit avec l’état émotionnel et psychologique de l’athlète en se demandant : comment faire pour qu’ils soient dans les meilleures dispositions possibles dans un cadre qui est compliqué ? À l’approche des Jeux, le niveau de stress est énorme ! Je pense que chaque personne qui intervient sur un athlète a un impact sur sa santé mentale. J’y fait particulièrement attention, dans les mots que j’emploie, en faisant preuve d’empathie, en instaurant une relation de confiance. Ils et elles sont des humains avant d’être des sportifs et danseurs de haut niveau.

Propos recueillis par Léa Poiré

Léa Poiré est une journaliste indépendante basée à Paris et Lyon. Après des études chorégraphiques, ayant été responsable danse et rédactrice en chef adjointe pour le magazine Mouvement, elle s’inscrit aujourd’hui dans le champ du journalisme culturel, de l’éducation aux médias, et collabore en tant que chercheuse avec la chorégraphe Mette Edvardsen. Elle assure la direction éditoriale de CN D magazine.

Épreuves qualificatives à Shanghai
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Épreuves de break aux J.O. de Paris 
les 9 et 10 août sur la place de la Concorde